2018-2019 Rapport public annuel de la GRC sur l'instruction du ministre intitulée Éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements par des entités étrangères

Introduction

Le 4 septembre 2019, la gouverneure générale en conseil a donné des instructions par voie de décret (ci-après le « décret de 2019 ») à la commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et à certains autres administrateurs généraux du milieu de la sécurité nationale du Canada. Les instructions par voie de décret constituent une exigence prévue à l'alinéa 3(2)d) de la Loi visant à éviter la complicité dans les cas de mauvais traitement infligés par des entités étrangères, entrée en vigueur le 11 juillet 2019. Les instructions par voie de décret remplacent la Directive ministérielle : Éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements par des entités étrangères de 2017 (ci-après la « DM de 2017 »), abrogée officiellement le jour où les instructions par décret ont été émises. Les exigences opérationnelles de la DM de 2017 et du décret de 2019 sont essentiellement les mêmes, alors il n'a pas été nécessaire pour la GRC de modifier ses processus pour assurer la transition entre les deux.

La DM de 2017 exigeait que la GRC présente un rapport annuel au ministre sur l'application de la directive. Ce rapport devait comprendre : 1) des détails sur les cas à risque très élevé pour lesquels la directive avait été appliquée, y compris le nombre de cas; 2) la restriction de toute entente en raison de préoccupations liées à des mauvais traitements; et 3) les changements aux politiques et aux procédures internes qui découlaient de la DM de 2017. Les exigences en matière de rapport des Instructions visant à éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements infligés par des entités étrangères sont moins prescriptives, précisant seulement que, conformément à la loi : « avant le 1er mars de chaque année, l'administrateur général à qui des instructions ont été données au titre de l'article 3 soumet au ministre compétent un rapport sur la mise en œuvre de celles-ci au cours de l'année civile précédente. »

Le dernier rapport de la GRC au ministre portait sur la mise en œuvre de la DM de 2017 du 25 septembre 2017 au 25 septembre 2018. Le présent rapport explique en détail la mise en œuvre par la GRC de la DM de 2017 et du décret de 2019 du 26 septembre 2018 au 31 décembre 2019. Il porte sur les procédures et les politiques internes de la GRC, les conclusions et les recommandations découlant de l'examen interne de la GRC sur la mise en œuvre de la DM de 2017, ainsi que les nouvelles initiatives de formation et de communication.

Pratiques en matière d'échange de renseignements et gouvernance opérationnelle de la GRC

Contexte

L'échange de renseignements avec des organismes nationaux et internationaux d'application de la loi et de sécurité est essentiel à la bonne exécution du mandat de la GRC. Les échanges de renseignements peuvent aller de simples demandes visant à confirmer si une personne a un casier judiciaire à des notifications urgentes indiquant qu'un suspect peut constituer une menace pour lui-même ou pour autrui.

La GRC s'engage à veiller à ce que les renseignements qu'elle échange — demandes et divulgations — avec des organismes internationaux d'application de la loi et de sécurité n'aient pas été obtenus par le biais de mauvais traitements ou ne donnent pas lieu à de mauvais traitements. La GRC accorde de l'importance à ce sujet pour deux raisons : le fait d'éviter d'être complice de mauvais traitements est une valeur canadienne fondamentale, et, pour que des renseignements servent d'éléments de preuve devant les tribunaux canadiens, ils ne peuvent avoir été obtenus à la suite de mauvais traitements (ou faire l'objet d'allégations de mauvais traitements). Pour être utiles dans le cadre de poursuites pénales, les renseignements doivent être traités et obtenus conformément aux lois canadiennes, notamment la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Des renseignements obtenus à la suite de de mauvais traitements seraient contraires à ces principes, et les utiliser comme éléments de preuve nuirait non seulement à l'enquête, mais aussi à la réputation de la GRC et du gouvernement du Canada.

La GRC a mis en œuvre des procédures et des politiques exhaustives pour s'assurer que les renseignements qu'elle échange ou utilise ne résultent pas de mauvais traitements et qu'ils n'entraîneront pas de mauvais traitements à l'égard d'une personne. Bon nombre de ces politiques découlent des leçons tirées de la Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar de 2006. À la suite des travaux de la Commission, des politiques opérationnelles solides et des mesures de responsabilisation ont été établies pour garantir que les échanges de renseignements se déroulent dans le plein respect des droits de la personne. En outre, la GRC stocke, conserve et élimine les renseignements personnels en fonction de la nature de l'enquête et conformément à ses politiques fondées sur la common law, aux politiques du Conseil du Trésor, à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada.

Mise à jour des politiques et des procédures

Depuis 2011, la GRC doit, pour ses activités liées à la sécurité nationale, respecter une directive ministérielle portant sur l'échange de renseignements et le mauvais traitement. L'Instruction du ministre à l'intention de la Gendarmerie royale du Canada sur l'échange d'information avec des organismes étrangers de 2011 (ci-après l'« IM de 2011 ») ne s'appliquait qu'aux enquêtes liées à la sécurité nationale, et interdisait l'échange de renseignements entre la GRC et les entités étrangères dans les cas où il existait un risque substantiel de mauvais traitement, sauf si le risque pouvait être atténué. Dans des circonstances exceptionnelles, la GRC avait pour instruction d'accorder la priorité à la protection de la vie et des biens. En cas de menace sérieuse pouvant entraîner des pertes de vie, des blessures, des dommages graves ou la destruction de biens, le commissaire pouvait autoriser la GRC à communiquer des renseignements qui pouvaient été obtenus à la suite de mauvais traitements avec les autorités concernées afin d'atténuer une menace sérieuse. Pour veiller au respect de l'IM de 2011, la GRC a mis à jour ses politiques et a créé le Comité d'analyse des risques — Information de l'étranger (CCRIE) pour évaluer les risques liés à l'échange de renseignements pour le compte du Programme de sécurité nationale.

Le CCRIE actuel de la GRC a été mis sur pied pour assurer la conformité avec la DM de 2017. La portée de la DM de 2017 était vaste et s'appliquait à tous les types de crimes, mais elle était plus restrictive dans le sens où elle ne permettait plus au commissaire d'autoriser les demandes ou les divulgations de renseignements visant à prévenir des pertes de vie, des blessures ou la destruction de biens si le risque de mauvais traitements ne pouvait être atténué. Le décret de 2019 a remplacé la DM de 2017, mais ils sont essentiellement les mêmes, alors il n'a pas été nécessaire pour la GRC d'apporter des modifications importantes à ses processus. La DM de 2017 et le décret de 2019 limitent :


  1. la divulgation de renseignements à toute entité étrangère qui entraînerait un risque substantiel de mauvais traitements à l'égard d'une personne;

  2. la présentation de demandes auprès d'entités étrangères pour obtenir des renseignements qui entraînerait un risque substantiel de mauvais traitements à l'égard d'une personne;

  3. l'utilisation de renseignements qui sont susceptibles d'avoir été obtenus à la suite de mauvais traitements infligés à une personne par une entité étrangère.

Les groupes des enquêtes et des analyses doivent tenir compte du risque de mauvais traitements avant de divulguer ou d'utiliser des renseignements d'entités étrangères ou de présenter une demande à ces dernières pour obtenir des renseignements; et ils doivent également amorcer la procédure du CCRIE s'il existe un risque substantiel. Lorsqu'une demande est soumise au CCRIE, l'échange de renseignements (c.-à-d. la divulgation, la demande ou l'utilisation) doit d'abord être approuvé par l'officier responsable des enquêtes criminelles ou un autre agent approbateur, conformément à la politique opérationnelle, et doit être considéré comme pertinent et nécessaire pour faire avancer une enquête. Dans la mesure du possible, l'équipe d'enquête devra expliquer le risque substantiel de mauvais traitement et présenter une stratégie d'atténuation.

Les recommandations du CCRIE sont formulées par le président, selon les conseils des membres du CCRIE, et les opinions dissidentes sont consignées dans le compte rendu des décisions, qui est intégré au dossier d'enquête et présenté par le président du CCRIE au directeur exécutif ou au commissaire adjoint compétent aux fins de signature. Dans les cas où le CCRIE n'est pas en mesure de déterminer si le risque peut être atténué, le directeur exécutif ou le commissaire adjoint responsable doit faire parvenir le compte rendu des décisions au sous-commissaire compétent, qui lui le transmettra à la commissaire aux fins de décision.

La procédure du CCRIE est stable depuis 2018, et elle est administrée au nom de la GRC par le groupe Examen externe et Conformité de la Police fédérale. Forte de l'expérience qu'elle a acquise lorsqu'elle a dû expliquer un certain nombre de décisions particulières du CCRIE à des examinateurs de l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement à l'automne 2019, la GRC a élaboré et mis en œuvre des modèles et des processus afin de saisir de manière plus efficace les procès-verbaux des réunions du CCRIE. Les procès-verbaux sont rédigés par le secrétariat du CCRIE et par le gestionnaire du groupe Examen externe et Conformité afin de documenter la justification et les recommandations formulées par les membres du CCRIE. Contrairement aux comptes rendus des décisions, les procès-verbaux ne sont pas approuvés par les membres du CCRIE, cependant, ils sont conservés aux fins de tenue de registre et d'établissement de rapports.

Évaluations des risques

Afin de veiller au respect de la DM de 2017 et du décret de 2019, le Groupe d'évaluation de l'application de la loi (GEAL) de la GRC continue d'élaborer et d'examiner des évaluations de pays étrangers et de certains organismes d'application de la loi, mises à la disposition des employés de la GRC au Canada et à l'étranger par l'entremise de l'environnement collaboratif intégré (ECI) classifié Protégé B de la GRC. Sur le site de l'ECI, les pays et les organismes d'application de la loi sont classés selon trois couleurs : VERT (risque faible – aucun examen requis par le CCRIE), JAUNE (risque modéré – examen requis par le CCRIE si une ou plusieurs conditions de risque spécifiées sont présentes) ou ROUGE (risque élevé – tous les échanges de renseignements doivent faire l'objet d'un examen par le CCRIE). La GRC rend également disponibles les évaluations des pays classifiées sur son environnement classifié. Ces évaluations complètes comprennent des évaluations des droits de la personne fondées sur des sources ouvertes, des évaluations effectuées par des partenaires canadiens et les observations des agents de liaison de la GRC déployés dans la région. Les évaluations permettent également de déterminer la présence de facteurs connus qui pourraient atténuer les risques, comme des garanties documentées fournies à la GRC par des entités étrangères, la présence d'équipes habilitées ou des antécédents de conformité aux mises en garde et aux demandes de la GRC à l'égard du respect des droits de la personne.

Les pays et les organismes d'application de la loi ont été triés et les évaluations ont été réalisées par ordre de priorité. Sur le site de l'ECI se trouvent actuellement des évaluations des risques pour cent trente-neuf (139) pays et, parmi ceux-ci, vingt-deux (22) présentent un risque élevé, soixante-neuf (69) présentent un risque modéré et cinquante-cinq (55) présentent un risque faible. Une fois que tous les pays et organismes d'application de la loi concernés auront fait l'objet d'une évaluation, la GRC entreprendra un processus d'examen périodique. Il est possible que des pays soient réévalués plus tôt si un besoin opérationnel se présente. Néanmoins, dans tous les cas, le CCRIE tiendra compte des renseignements qui pourraient s'avérer plus récents que l'évaluation des risques approuvée, y compris les mises à jour fournies par les agents de liaison de la GRC.

Examen du CCRIE après un an : principales conclusions et recommandations

La procédure du CCRIE a fait l'objet d'un examen par le Groupe des politiques stratégiques de la Police fédérale en juin 2019 afin de cerner les points à améliorer, les lacunes et les autres défis liés à la mise en œuvre de la DM de 2017 par la GRC. Les principales conclusions de l'examen ont permis de constater que même si la GRC, de manière générale, a réussi à mettre en œuvre une procédure de gestion efficace pour l'échange de renseignements avec des entités étrangères lorsqu'un risque de mauvais traitements existe, trois points essentiels nécessitent que l'on s'y attarde. Premièrement, en tant qu'organisme d'application de la loi, la GRC a des besoins particuliers que la procédure actuelle ne comble pas adéquatement. Par exemple, en raison du lourd fardeau administratif qui pèse sur le secrétariat du CCRIE, en plus des niveaux d'approbation requis lors de la présentation d'une demande, la GRC peine à répondre aux demandes urgentes en temps opportun, ce qui pourrait avoir eu une incidence sur les opérations policières. Deuxièmement, l'examen a permis de constater que les membres du CCRIE et du secrétariat du CCRIE sont principalement issus de la Police fédérale. Maintenant que la DM s'applique à tous les secteurs d'activité de la GRC, des mesures devront être prises afin de veiller à ce que les Services de police contractuels et autochtones et les Services de police spécialisés soient représentés de manière adéquate. En outre, les contraintes en matière de ressource qui pèsent sur le secrétariat du CCRIE et le GEAL font en sorte qu'il est difficile d'appuyer convenablement la procédure actuelle du CCRIE. Troisièmement, la GRC a de la difficulté à offrir à tous les employés de la GRC des séances de formation et de sensibilisation qui leur permettraient de disposer de l'information et des compétences nécessaires pour bien accomplir leurs fonctions liées à la DM de 2017 ou au décret de 2019.

Mesures d'exécution : communication et formation

La GRC a pris des mesures concrètes pour former les employés concernés et faire connaître et comprendre la DM de 2017, le décret de 2019 et la procédure du CCRIE. La formation a d'abord été donnée aux employés qui jouent un rôle clé dans le soutien de la procédure du CCRIE. Par exemple, les employés qui occupent un poste d'agent de liaison ou d'analyste déployé à l'étranger, ou qui étaient sur le point d'être déployés dans un tel poste, ont été les premiers à suivre la formation, car c'est principalement par l'entremise de ces personnes que la GRC échange des renseignements avec les entités étrangères. Former les employés qui occupent ces postes afin qu'ils soient conscients des obligations de la GRC prévues par la DM de 2017 et le décret de 2019 a permis de veiller à ce que les échanges de renseignements qui présentent un risque substantiel de mauvais traitements soient portés à l'attention du CCRIE aux fins d'examen. On a également rappelé aux agents de liaison et aux analystes déployés à l'étranger qu'ils doivent assurer une surveillance continue du respect des droits de la personne par les entités étrangères, et informer immédiatement la Direction générale de toute allégation de mauvais traitements.

De la formation a été offerte aux employés du Programme de sécurité nationale qui facilitent l'échange de renseignements pour les enquêteurs de première ligne, Interpol Ottawa, et le Groupe des enquêtes internationales et de nature délicate. Le secrétariat du CCRIE offre également des séances d'orientation et d'information individuelles, sur demande. Cependant, jusqu'à maintenant, ces séances ont seulement été offertes en anglais et dans la région de la capitale nationale. Pour veiller à ce qu'une formation uniforme soit offerte en anglais et en français aux employés de la GRC au Canada et à l'étranger, le secrétariat du CCRIE travaille actuellement avec les Services d'apprentissage et de perfectionnement de la GRC à la création d'un cours de formation en ligne qui sera accessible sur la plateforme Agora de la GRC. Le cours en ligne devrait être prêt d'ici décembre 2020. Une fois en place, le cours sur Agora comprendra des documents, des directives, des exercices et un examen. Il permettra également à la GRC de consigner les renseignements sur les personnes qui ont suivi la formation et de s'assurer que tous les employés dont les fonctions sont liées à l'échange de renseignements avec des entités étrangères ont été formés et évalués récemment et de manière convenable.

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