La violence fondée sur l'honneur (VFH) est un crime courant, mais essentiellement invisible au Canada. Elle fait des victimes innocentes, mais, malheureusement, la police n'intervient souvent qu'après que les victimes ont subi de graves blessures, voire perdu la vie.
Le quadruple homicide Shafia à Kingston (Ont.) en 2009 a attiré une attention nécessaire sur la notion de VFH ou meurtre d'honneur et sur des infractions connexes comme le mariage forcé et la mutilation génitale féminine. Par conséquent, divers organismes, y compris la communauté policière mondiale, reconnaissent la nécessité non seulement d'élargir leur connaissance du problème, mais également d'améliorer leur démarche de prévention et d'enquête.
Selon des chiffres récents de Statistique Canada, le Canada compte près de sept millions d'immigrants; il s'agit du segment de population dont la croissance est la plus rapide. La diversité culturelle est un atout pour le pays, mais la police et ses partenaires doivent composer avec des difficultés particulières dans de nombreuses collectivités.
Défis des forces de l'ordre
De multiples facteurs expliquent pourquoi les membres de certains groupes culturels n'ont pas tendance à signaler les incidents à la police. Cette sous-déclaration des crimes contre la personne pose des difficultés particulières aux forces de l'ordre, notamment parce que cela empêche celles-ci et leurs partenaires d'offrir une protection adéquate aux victimes. Parmi les facteurs, citons :
- Méfiance à l'égard de la police et relations tendues avec elle (et d'autres organismes)
- Crainte des préjugés défavorables
- Barrière linguistique
- Préoccupations sur le plan de l'immigration
- Dépendance financière des membres de la famille
- Crainte d'une intensification de la violence de la part des membres de la famille et de la collectivité
- Amour pour les membres de la famille (malgré les actes de violence)
- Une autre difficulté tient au manque de connaissance et de compréhension de la VFH. Aspect essentiel de cette réalité, les auteurs de tels crimes justifient leurs actes par une interprétation personnelle des idéologies et croyances de la culture.
Qu'entend-on par honneur?
Le terme violence fondée sur l'honneur est généralement défini comme un comportement criminel que son auteur estimait nécessaire ou acceptable pour protéger ou défendre l'honneur de la famille ou de la communauté.
La VFH n'est pas un terme juridique et plusieurs condamnent l'emploi des mots honneur et violence dans une même expression. Mais il continue d'avoir cours pour mettre le mobile du crime en contexte.
En gros, ces crimes sont commis contre d'innocentes victimes vulnérables pour les forcer à faire ce qui est moralement « juste » selon l'interprétation que donne l'auteur de valeurs et de pratiques acceptables. La culture et la religion sont souvent invoquées pour légitimer des actes de violence. Cela dit, aucune culture ou religion ne sanctionne de tels comportements.
Les victimes de VFH et de mariages forcés sont surtout des femmes et des fillettes, mais des hommes et des garçons peuvent également y être assujettis.
Une des difficultés qui se posent à l'enquête est que ces crimes sont commis par des membres de la famille immédiate. Il est donc difficile d'obtenir des preuves parce que les proches – ainsi que la victime – sont rarement disposés à fournir des preuves préjudiciables contre un des leurs.
Les policiers doivent être aptes à cerner les menaces et les risques et à prendre les mesures voulues pour mener leur enquête. Celle-ci pourra nécessiter le concours de spécialistes en la matière au sein du service de police ou de l'extérieur.
Les complexités du contexte
La méthode et le lieu de l'entrevue, la personne qui l'effectue et la nécessité de veiller à ce que les membres de la famille ne soient pas présents sont cruciaux pour obtenir les faits et poursuivre l'enquête.
Par exemple, lorsque la police fait face à des obstacles à la communication avec des immigrants, la solution de facilité consistait à demander l'assistance d'un membre de la famille pour l'entrevue. À l'occasion, les po-liciers ont interrogé une victime éventuelle en présence de membre de la famille. Mais dans les cas de VFH, c'est à proscrire.
Un spécialiste en la matière peut fournir des suggestions ou des conseils pour aider l'enquêteur à obtenir les meilleurs éléments de preuve et à protéger la victime. Si on ne s'y prend pas bien, les conséquences pour la victime peuvent être graves.
Une fois l'accusation établie, le plus important consiste à dresser un plan exhaustif de sécurité et à évaluer les risques pour la victime. Ainsi, dans le cas d'une épouse qui présente des éléments de preuve contre son mari, les enquêteurs doivent tenir compte de la menace posée contre l'épouse par son mari, la famille de celui-ci, voire les membres de sa propre famille et la communauté. De telles divulgations peuvent être perçues comme une trahison qui jette l'opprobre sur la famille entière et la communauté culturelle en général.
Il en va de même pour l'enfant victime qui va à la police pour signaler un crime commis dans sa famille (contre lui ou contre un autre membre de sa famille). L'enquêteur doit évaluer les risques sous plusieurs angles et collaborer avec ses partenaires pour protéger la victime.
Le Canada s'est taillé la réputation d'être l'un des meilleurs endroits au monde où vivre. Cet attrait est la raison qui porte de nombreux immigrants à y élire domicile (moi y compris). La police a le devoir d'assurer un environnement sûr pour tous ceux qui font ce choix. S'il est encourageant de voir les initiatives mises en œuvre ces dernières années pour sensibiliser les gens à la réalité de ces crimes, il faut faire davantage.
La prochaine étape
Un meilleur programme de sensibilisation des immigrants favoriserait des liens de confiance entre la police et ces groupes. Le milieu policier au pays cherche des moyens de recruter des hommes et des femmes de différents groupes afin de mieux représenter la diversité culturelle du Canada. Une meilleure compréhension des cultures et religions est essentielle pour permettre à la police de mieux servir la population. Sans ce lien de confiance, les crimes fondés sur l'honneur ne seront jamais déclarés.
Nouer le dialogue avec les groupes culturels est aussi essentiel. Si ceux-ci sont mieux renseignés, ils pourront davantage résoudre la VFH de l'intérieur. Il s'agit pour la police de collaborer avec des groupes de femmes ethniques, Condition féminine Canada et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, entre autres.
Un modèle de concertation s'impose pour aborder les enjeux de la VFH et des mariages forcés. Un organisme ne peut assumer seul ce mandat. La sensibilisation des nouveaux arrivants est aussi importante : ces derniers doivent connaître leurs droits dans leur pays d'accueil et savoir où trouver de l'aide et de la protection.
Il importe d'assurer un service impartial à chaque citoyen sans égard à sa culture, à sa religion et à la couleur de sa peau. Le moindre signe de partialité et de stéréotype compromet la confiance envers la police.
Enfin, les policiers doivent être dotés d'outils et des connaissances voulues. La GRC a déjà conçu un cours de base en ligne et d'autres services de police canadiens ont élaboré une formation de sensibilisation générale. Une formation approfondie est essentielle pour les agents sur le terrain et pour développer un bassin de spécialistes sur le sujet.
La réalité est que les crimes fondés sur l'honneur surviennent et font de nombreuses victimes. Le moment est venu pour la communauté policière du pays de mettre en place d'autres initiatives axées sur la sensibilisation et la collaboration qui permettront de faire progresser les choses.