Les spécialistes
- S.é.-m. Roch Côté, s.-off. resp. Échange d'information, INTERPOL, GRC
- Serg.-dét. Janice Laws, Enquêtes criminelles, Service de police de Montréal
- Surint. J.M. (Joe) McAllister, directeur, Programme des incidents critiques, GRC
S.é.-m. Roch Côté
Il n'est pas rare pour les gens prenant des vacances à l'étranger de se renseigner au préalable sur le pays qu'ils visitent. Après tout, en tant qu'hôtes, ils voudront se montrer respectueux de la culture des autres et sensibles à leurs traditions et aux marques de politesse locales. Il en va de même pour le personnel et les policiers affectés outre-mer.
À mon avis, la culture joue un rôle prépondérant dans le quotidien des gens. Nous devons en comprendre les exigences et les émotions qu'elle suscite. La culture diffère d'un pays à l'autre; c'est pourquoi certaines choses acceptables dans un pays peuvent constituer un manque de politesse dans un autre. Se sensibi-liser aux coutumes et à la culture d'un autre pays constitue une marque de respect, et le respect est essentiel à toute relation professionnelle.
Lorsque vous vous installez dans le territoire d'autrui, il vous incombe d'obtenir le plus de connaissances possible sur lui afin de mériter sa confiance et son respect. Se familiariser avec la culture et la mentalité du peuple d'un pays est essentiel si l'on veut créer des stratégies qui suscitent l'adhésion de la population locale. Il importe aussi de connaître le système politique, la culture de prise de décisions, ses codes et ses règles explicites et tacites.
Pendant quatre ans, j'ai été agent de liaison au Pakistan, où j'étais également responsable de l'Afghanistan et de l'Iran. J'ai tôt fait de comprendre que les gens de ces pays ont une culture très axée sur les relations. La relation compte pour tout, chez ces peuples qui préfèrent traiter avec des amis, des parents et des gens qu'ils connaissent bien. Pour les responsables pakistanais et afghans, toute relation professionnelle se joue sur le plan personnel. Dans une culture axée sur les relations, il faut en comprendre les règles et prendre le temps d'établir des liens de confiance et d'amitié.
C'est une notion qu'il faut bien saisir pour assurer des services de police efficaces au Moyen Orient. À long terme, les policiers, quelles que soient leurs tâches, doivent consacrer du temps à nouer des relations et à renforcer leur crédibili-té. L'agent de liaison ne doit pas s'attendre à ce qu'une demande, une fois formulée, soit exécutée sur-le-champ, sans embûche. Privilégier les relations, c'est prendre le temps de prendre le thé, de parler du temps qu'il fait, de s'enquérir de la famille et de commenter le dernier match de cricket. Lorsqu'on a affaire aux gens du Moyen-Orient, il faut mettre le temps voulu pour obtenir des résultats durables.
Nous devrions toujours aborder nos relations outre-mer avec une sensibilité à la culture pour éviter d'offenser nos partenaires étrangers. Ce faisant, nous éviterons les malentendus. En fin de compte, nous saurons traiter nos relations étrangères avec respect et compréhension, ce qui favorisera la coopération de nos partenaires à notre égard.
Serg.-dét. Janice Lhaws
La sensibilité culturelle est essentielle à l'efficacité des opérations policières outre-mer. La culture est caractérisée par toute une série d'éléments qui ne sont pas nécessairement apparents pour un étranger. Il est dans la nature humaine de chercher un sentiment d'appartenance. Notre culture détermine souvent nos comportements et nos attitudes. Le besoin d'estime et de réalisation de soi nous incite à préférer notre propre culture et à en faire l'apologie.
En service à l'étranger, nous devons nous ouvrir aux aspects positifs d'une autre culture sans nous sentir menacés.
Nous retrouver dans un environnement de travail au sein d'une autre culture constitue un défi psychologique. L'esprit lutte pour s'adapter à un nouvel environnement visuel et auditif. C'est ici que nous devons rechercher les points communs de notre humanité afin de garder notre optimisme et notre ouverture d'esprit. Nous partageons tous la faculté de rire, de pleurer, de manger, de dormir et d'aimer nos proches. Ce trait humain commun nous permet de sympathiser et d'être moins enclins à juger.
Cela dit, je dois être consciente de l'impression que les autres se font de moi. Ma culture, mes habitudes, ma tenue, mon rôle et mes comportements peuvent leur sembler étranges. L'efficacité du travail policier à l'étranger repose sur la communication pour le transfert des compétences et le mentorat. Nos démarches seront futiles si nous ne gagnons pas le respect des autres policiers. Notre crédibilité est essentielle si nous voulons être entendus et compris, et convaincre les autres d'adopter les nouvelles méthodes policières que nous leur proposons.
La sensibilité culturelle est un élément important de la philosophie organisationnelle préconisée dans toutes les missions des Nations Unies dans le monde. Le respect de la diversité est une valeur fondamentale qui unit tous les collaborateurs.
Au moment d'être affectés à une mission de police internationale, il nous faut acquérir le plus de connaissances possible sur le pays hôte. Nous devons examiner nos propres opinions, valeurs, perceptions, préjugés, stéréotypes et idées fausses, et avoir une authentique compréhension de nous-mêmes et de nos convictions. Si nous donnons l'impression d'être critiques ou biaisés, nous ferons obstacle à la mission. Il ne faut jamais sous-estimer la perception des autres à notre égard. Nous avons une grande visibilité et nos actes font constamment l'objet d'un examen critique.
Dans de nombreuses cultures, les relations ont préséance sur les rôles officiels. Faute d'établir des relations fondées sur la compréhension et le respect mutuels, les rôles pourront ne pas être estimés. En choisissant de traiter les autres comme mes frères et sœurs — ma famille au sens large — , j'aborde chacun avec amour et respect, et je fais preuve d'ouverture, manifestant mon intérêt, prêtant une oreille attentive et posant des questions. Il faudra peut-être un certain temps avant de pouvoir communiquer mes connaissances et mon expérience.
D'abord et avant tout, il importe de leur manifester mon côté humain. Le contact avec les gens d'une autre culture influence notre culture, et peut même engendrer une nouvelle culture. Nous ne saurions gagner une autre personne à notre cause sans tenir compte de sa culture.
Surint. Joe McAllister
On ne saurait trop insister sur le rôle de la sensibilité à la culture dans les activités policières à l'étranger. À l'issue de cinq missions, une des notions clés que j'ai apprises est qu'il faut comprendre où l'on se trouve, avec qui on travaille et les origines de la situation dans laquelle nos interlocuteurs se trouvent.
Au moment de se préparer à une mission, les policiers doivent savoir qu'ils ne travaillent plus dans un environnement où la notion de police communautaire a un sens et est généralement acceptée. Nous sommes affectés à des États en déroute où, historiquement, la police faisait souvent partie du problème. Dans nombre de ces pays, la police était le bras armé du gouvernement et pouvait paraître opprimante, injuste, violente et insensible aux besoins respectifs de la collectivité, des minorités et de chaque sexe.
Lors de mon premier déploiement au Kosovo en 2001, j'ai cru à tort que nombre des problèmes sociaux étaient liés au démembrement de l'ancienne Yougoslavie. Mais après avoir copatrouillé avec des confrères de la police kosovare et entendu leurs récits, j'ai rapidement compris que certains des conflits entre Serbes et Albanais remontaient bien avant la Première Guerre mondiale.
Il est essentiel de comprendre les causes fondamentales des doléances historiques et des différences culturelles quand on tente de motiver des gens de cultures diverses non seulement à travailler ensemble, mais en plus à protéger les membres d'une communauté pouvant susciter une haine ancestrale.
Une fois que les policiers ont une profonde compréhension de ces enjeux liés à la culture, ils peuvent amorcer un dialogue avec les policiers locaux et la population sans sembler prendre parti, de façon à assurer une prise de décision et une intervention policière justes et objectives.
L'autre élément clé est de bien comprendre les différences culturelles chez vos partenaires policiers. Les Nations Unies, l'Union européenne et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe sont constituées de nombreux États, chacun au contexte culturel et historique distinct. Collaborer avec des poli-ciers de pays différents du nôtre nous éclaire sur la façon d'aborder les nombreux défis qui se posent dans les missions.
Ainsi, lors de ma deuxième mission en Afghanistan, j'ai organisé un exposé sur les structures policières à l'intention du vice-ministre de l'Intérieur responsable de la politique stratégique et de plusieurs ambassadeurs. Je coprésidais un groupe de travail sur la réforme ministérielle et l'on m'a demandé de citer des exemples de travail policier pour éclairer les responsables afghans. J'ai alors rassemblé des exposés de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas, du Canada, de la Jordanie, de la Finlande, de la Turquie et des États-Unis. Un des éléments éloquents de cet exposé était la perspective des Afghans sur le processus disciplinaire.
Si la plupart des corps policiers ont établi des règles, un code de déontologie, des politiques et des tribunaux internes, les Afghans s'en remettent aux mollahs et aux imams pour s'assurer que les policiers traitent la population conformément aux enseignements du Coran. Ce qui s'apparente de près à la façon dont les Jordaniens administrent leurs postes de police : plutôt que d'avoir un sergent-major responsable de la conduite, le mollah vient s'entretenir avec les policiers, et les membres du public présentent leurs plaintes sur les inconduites des policiers. Ce qui fonctionne en maints endroits beaucoup mieux que n'importe quel code de règles. Cet exemple a été fort instructif pour de nombreux officiers supérieurs qui, jusque-là, avaient préconisé des mécanismes renforcés de surveillance civile de la police.
Mes homologues jordaniens et turcs m'ont grandement éclairé sur les spécificités culturelles de l'Afghanistan et de la Turquie. Non seulement ils en savaient beaucoup sur la culture afghane, mais ils étaient aussi conscients de ce qui fonctionnerait et ne fonctionnerait pas dans la région. Plus que n'importe quel ouvrage, ces deux collègues m'ont instruit sur la culture musulmane et sur le travail policier en me montrant l'application pratique des théories que nous tentions d'exposer au groupe de travail.