Les spécialistes
- Insp. Suki Manj, off. resp. du Détachement de Lloydminster (Alberta) de la GRC
- Tom Stirling, gestionnaire des communications numériques, police du North Yorkshire (Royaume-Uni)
- David Lorrie, projet Safer Rockridge, Oakland (Californie)
- S.é.-m. Michael Haffner, cadre supérieur du service de police régional de Waterloo, et Christiane Sadeler, directrice administrative du WRCPC
- Serg. Hakim Bellal, coordonnateur, Programme de sensibilisation, Sécurité nationale, GRC, Québec
Insp. Suki Manj
Il est crucial pour tout service de police de bien comprendre son rôle auprès de la population et de savoir ce que celle-ci attend de lui. Pour emprunter le langage des affaires, le public est le client, et les entreprises tentent de se fixer des objectifs qui cadrent avec ce que le client veut.
Écoutons les leçons de sir Robert Peel, considéré comme le fondateur de la philosophie sous-jacente aux pratiques policières modernes pour avoir, au XIXe siècle, formulé neuf principes de police découlant du postulat que la police est le public, et le public est la police.
L'application de ces principes conduit au succès. Ce qu'il faut avant tout, c'est amener la population à s'engager de manière constructive, prendre note de ses préoccupations et lui fournir des outils lui permettant de contribuer à la sécurité de la collectivité.
Un lien de confiance s'établit ainsi avec les citoyens, qui peuvent alors agir comme nos yeux et nos oreilles. Une telle relation influe positivement sur nos activités, car le public est d'autant plus disposé à nous appuyer qu'il participe concrètement à l'atteinte de nos objectifs. De plus, le maintien de bons rapports avec la population est une source de motivation pour nos employés.
Voilà qui, sans nécessiter de ressources, d'outils ni de financement supplémentaires, peut procurer d'inestimables bénéfices.
Le Détachement de Lloydminster a mis en place plusieurs programmes destinés à faire participer le public à nos activités. Nous avons sondé la population pour recueillir ses impressions et commentaires, puis nous avons tenu des réunions publiques pour discuter des résultats du sondage et des mesures que nous proposions après prise en compte de ces résultats.
Proactifs, nous avons noué des liens solides avec les médias locaux et avons mis au point des stratégies de communication visant à rappeler aux citoyens l'importance de leur rôle en matière de sécurité publique et les moyens par lesquels ils peuvent nous prêter leur concours.
Les activités bénévoles auxquelles nos employés prennent part quotidiennement sont signalées dans des articles de presse et lors d'événements publics pour que soit reconnu leur formidable apport à la collectivité. Et nous faisons la même chose lorsque des citoyens dévient de leur train-train pour nous assister dans l'exécution de tâches usuelles.
Nous avons créé la cérémonie de remise de prix de reconnaissance du Détachement de Lloydminster pour récompenser les partenaires communautaires, les citoyens et ceux de nos membres dont la conduite ou les réalisations dépassent toutes les attentes.
Grâce à tous ces efforts, nous avons radicalement changé la façon dont la population perçoit notre détachement. Il n'y a là rien de neuf, penseront certains. Or il s'agit de nous assurer que nous disposons d'une stratégie pour communiquer avec nos « clients » à grande échelle, de sorte que ceux-ci soient désireux de contribuer à l'atteinte de nos objectifs communs.
Tom Stirling
Comme bien d'autres services de police, celui du North Yorkshire recourt aux médias sociaux tels que Twitter et Facebook pour dialoguer avec la population, publier des conseils de prévention, annoncer la fermeture de routes et signaler la condamnation de criminels notoires.
Or nous utilisons de plus en plus ces moyens de communication pour solliciter l'aide des citoyens dans le cadre d'enquêtes criminelles et d'enquêtes sur des personnes disparues.
Le public a toujours été les yeux et les oreilles de la police. Grâce aux médias sociaux, nous joignons des milliers de gens en un rien de temps, que ce soit pour les avertir qu'un individu recherché est dans les parages ou pour diffuser la photo d'une personne vulnérable ayant disparu.
Par exemple, dans le cadre de notre programme « Caught on Camera », nous diffusons activement sur notre site Web et nos pages Facebook et Twitter des images captées par télévision en circuit fermé (TVCF) montrant des suspects et des témoins dans des affaires criminelles.
« Caught on Camera » connaît un vif succès populaire, et nos agents en font bon usage. Pour aider ceux-ci à juger de l'opportunité de diffuser une image de TVCF, on leur a fourni un tableau schématique facile à consulter qui fait une place aux considérations relatives à la vie privée, à la probabilité que le suspect soit identifié et aux répercussions sur les victimes.
De toute évidence, cela profite à l'administration de la justice pénale. Les résidents sont habilités à jouer un rôle actif dans la lutte à la criminalité dans leur quartier. Le programme ne favorise pas pour autant la diffusion de tout et de n'importe quoi : on ne publie d'images de TVCF que s'il existe un véritable motif policier de le faire, et on les retire au terme d'une période déterminée.
« Caught on Camera » n'est qu'une de nos façons d'encourager le public à appuyer nos enquêtes. Dans les affaires où une personne très vulnérable est portée disparue, l'aide de la population peut s'avérer capitale. En quelques minutes, on peut faire circuler la photo de la personne disparue, et même en limiter la transmission aux résidents d'un secteur particulier.
Voici un exemple. En novembre dernier, une jeune fille vulnérable a été portée disparue à son école. Des dizaines d'unités policières, y compris une équipe héliportée, ont sillonné le secteur en vain pendant des heures. Ce n'est qu'après avoir reçu l'appel d'un citoyen qui l'avait reconnue grâce à la photo diffusée sur notre page Facebook que nous l'avons retrouvée saine et sauve. Elle s'était rendue très loin de son lieu de départ en utilisant les transports publics. Bref, les médias sociaux nous donnent une occasion en or d'amener le public à soutenir nos enquêtes. La police du North Yorkshire possède un réseau d'environ 90 comptes Twitter locaux, et la page Facebook de l'organisation compte plus de 50 000 « j'aime ».
La collaboration avec cet auditoire, déjà disposé à épauler son service de police local, peut nous aider à arrêter les criminels recherchés et protéger les personnes vulnérables portées disparues.
David Lorrie
Parfois, la meilleure façon dont les résidents d'un quartier peuvent accroître leur propre sécurité consiste à adjoindre leurs propres ressources à celles de la police.
Il y a deux ans, j'ai discuté avec un groupe de résidents dans un petit appartement en étage situé dans ce qui est probablement l'un des plus beaux quartiers de la région de la baie de San Francisco, celui de Rockridge, à Oakland (Californie). Quelques jours plus tôt, les architectes travaillant au rez-de-chaussée avaient été victimes d'un vol à main armée. Au cours des semaines précédentes, un voisin habitant un peu plus loin avait été détroussé au coin de ma rue par trois hommes armés, un voisin de la même rue parti à l'épicerie avait été volé sur le chemin du retour, et dans l'aire de covoiturage, six pâtés de maisons plus loin, une vingtaine de personnes avaient été tenues sous la menace d'un pistolet.
La Ville d'Oakland était en crise. D'énormes problèmes budgétaires avaient forcé la police à réduire son effectif comme jamais auparavant. Elle avait dissous son groupe de la circulation, avait suspendu les services non essentiels et ne s'occupait que des affaires retenues au triage.
On s'est dit qu'il fallait faire quelque chose. Nous avons alors engagé une entreprise de sécurité pour patrouiller dans le quartier, mais cela semblait hors de prix. Pour des services privés de patrouille assurés par des individus non armés à bord d'un véhicule identifié, il fallait qu'au moins 250 des
4 000 foyers du quartier cotisent 20 $ par mois. Un résidant nous a alors suggéré de recourir à l'externalisation ouverte, une pratique sociomédiatique très en vogue. En 48 heures, nous avons atteint notre objectif et récolté la contribution de plus de 650 foyers.
Les patrouilleurs privés, dont la visibilité produit un effet dissuasif sur les malfaiteurs, ont pour unique mandat, aux heures de pointe de la criminalité, d'être les yeux et les oreilles du service de police d'Oakland, à qui il peut d'ailleurs fournir d'utiles observations. Une analyse statistique effectuée à partir de données publiques indique que les patrouilles pourraient concourir à réduire la criminalité dans le secteur, et on relève plusieurs cas où des patrouilleurs sont venus en aide à des résidents en faisant avorter un crime en train de se dérouler.
Malgré le fait que les services fournis s'adressent à tous les habitants du quartier, contributeurs ou non, nous avons toujours plus de 500 contributeurs. Nous tenons un site Web et faisons paraître un infocourriel mensuel qui fait le point sur les patrouilles et donne quelques idées de stratégie globale pour réduire la criminalité.
On ignore combien de temps encore les patrouilles fonctionneront. Le personnel du service est presque revenu à un niveau normal, et dans l'ensemble, la criminalité a diminué depuis l'entrée en action des patrouilles pri-vées. Dans une ville aussi grande qu'Oakland, il peut être difficile de croire à la valeur de sa propre contribution. Mais en commençant avec un groupe de résidants désireux d'influer sur la vie de leur quartier, nous croyons être parvenus à changer les choses.
S.é.-m. Michael Haffner et Christiane Sadeler
La sécurité publique est le socle sur lequel repose la qualité de vie dans les municipalités. La région de Waterloo, qui compte près de 600 000 habitants, est l'une des plus sûres du pays, et elle est décidée à le rester. Ce n'est pas là un vague désir, mais une façon déterminée d'articuler la prestation des services policiers à celle de services sociaux, médicaux et communautaires.
La région de Waterloo possède une longue tradition de collaboration. C'est dans cet esprit qu'en 1994 a été créé le premier grand conseil intégré canadien pour la prévention du crime.
À l'époque, le chef du service de police de la région de Waterloo, Larry Gravill, s'est vu confier la tâche de donner corps à l'idée d'une méthode communautaire de prévention de la criminalité. Il a formé une coalition pluridisciplinaire de partenaires locaux prêts à démêler et à combattre ensemble les causes de la criminalité. Ce partenariat a été baptisé le Waterloo Region Crime Prevention Council (WRCPC).
Gravill a compris que, pour réussir, la police devait partager le leadership et contribuer, à titre de partenaire égal aux autres, à résoudre le complexe problème de la criminalité. Cela supposait que nous reconnaissions notre incapacité à régler, par une action répressive, les problèmes liés à la pauvreté, à la toxicomanie, à la parentalité, au désordre social, etc. Le WRCPC a été créé pour fournir une expertise variée et un engagement commun pouvant appuyer les initiatives locales, infléchir les politiques publiques, informer la population, influer sur l'allocation des ressources et mobi-liser la collectivité dans un vaste programme de prévention.
D'importants efforts sont déployés en ce sens, et le WRCPC est maintenant un acteur clé de la gouvernance locale et de la mobilisation communautaire. En diffusant de l'information et des idées pour prévenir la criminalité, en mobilisant les jeunes et les quartiers ainsi qu'en organisant des événements pour souligner telle ou telle réalisation ou braquer les projecteurs sur tel ou tel enjeu communautaire, le WRCPC incite la population à prendre sa sécurité en mains.
En plus du dialogue qui se poursuit tous les mois et de la référence à un plan stratégique commun, c'est à la place qu'y tiennent les relations que le WRCPC doit son succès. La confiance entre les partenaires permet l'émergence d'une vision consensuelle d'un avenir prometteur et sécuritaire pour tous les membres de la collectivité.
Certes, on ne découvrira pas les causes profondes de la criminalité du jour au lendemain, mais on ne saurait vraiment assurer la sécurité sans conjuguer l'action d'une population confiante et mobilisée avec celle de la police communautaire. Les citoyens doivent se sentir à l'aise d'appeler la police et ses partenaires et être convaincus que ceux-ci peuvent répondre à leurs besoins.
On ne doit toutefois pas sous-estimer le rôle de la police. Celle-ci n'est pas seulement un partenaire essentiel : elle donne de la crédibilité à la collectivité et supplée à ses insuffisances dans l'exécution de tâches qui, sortant du simple cadre policier, visent à attaquer le problème à sa racine. Ainsi une idée jugée peut-être controversée il y a vingt ans est-elle devenue le pivot d'un renforcement des activités policières favorisant la sécurité communautaire.
Serg. Hakim Bellal
Amener les communautés à participer à la protection de la sécurité nationale du Canada repose sur des mesures exhaustives de sensibilisation et d'approche communautaires.
Même si les responsables de l'application de la loi et du renseignement ont un rôle bien défini à jouer en matière de prévention et d'intervention, la GRC doit continuer de miser sur la sensibilisation et l'éducation de la population.
Les communautés sont au cœur de cette approche, mais elles doivent, de même que les organismes, les associations et le secteur privé, jouer un plus grand rôle.
En période de tensions et de conflits, xénophobie, racisme et haine envers certains groupes de la société sont souvent exacerbés. L'intolérance qui alimente le discours tordu des terroristes pourrait cependant être contrée par les organismes civils ainsi que les dirigeants, les associations et les mouvements religieux et culturels.
Nos mesures de sensibilisation visent à mettre en place des solutions de rechange ou à les améliorer. La société civile doit faire plus pour combattre la propagande que les groupes terroristes et extrémistes véhiculent dans les médias sociaux et leurs publications. Il est essentiel que le message et le messager proviennent des communautés elles-mêmes.
Divers organismes non policiers doivent participer davantage à la lutte contre la radicalisation menant à la violence. Ce rôle n'est pas exclusif aux intervenants communautaires. Mentors et leaders multiconfessionnels peuvent influencer favorablement les individus qui se sont radicalisés ou qui risquent de le devenir. Toute personne d'influence peut aider les individus à risque à changer d'attitude, à modifier leurs croyances et à adopter les valeurs canadiennes.
Il importe d'encourager les membres de ces organismes à participer activement aux comités consultatifs mis sur pied par les communautés en partenariat avec la police. La tenue régulière de réunions leur assurera une voix aux plans d'action communautaires. Ce type de partenariat pourrait mener à une plus grande mobilisation pour la recherche de solutions appropriées.
Parents, proches, enseignants et autres parties sont souvent les mieux placés pour déceler les premiers signes de radicalisation menant à la violence. Comprendre ces signes et les reconnaître rapidement constituent le meilleur moyen de prévenir ce phénomène.
Les terroristes et les extrémistes se servent des médias traditionnels et sociaux pour me-ner leur propagande violente. Nos partenaires des médias ont une responsabilité sociale à cet égard. Il convient de les encourager à contrer la propagande violente visant le recrutement de jeunes Canadiens et à diffuser plus largement le témoignage des personnes qui ont été touchées par le terrorisme. L'accent doit être mis sur la reconnaissance des signes indiquant un comportement criminel plutôt que sur les libertés garanties par la Charte canadienne des droits et libertés, dont celle de la religion.
La sécurité nationale n'est plus la responsabilité exclusive du gouvernement, de la GRC ou des organismes de renseignement. Elle appelle à la collaboration de tous les Canadiens et à un solide partenariat public-privé, car elle est l'affaire de tous.