Défoncer le plafond de verre depuis le plancher du détachement
Ramper dans des buissons sans se faire détecter. Descendre en rappel le long d'un édifice avec son arme. Grimper le long d'un bateau en habit de plongée. Désamorcer un engin pendant le compte à rebours. Présider la destinée d'une association internationale d'analystes. Il y a trente ou quarante ans, une femme ne pouvait qu'en rêver, mais aujourd'hui, on ne parle plus de rêve.
Par les temps qui courent, nous célébrons quarante années de réalisations féminines à la Gendarmerie, et il faut bien admettre que les premières se font de plus en plus rares et qu'il reste peu de plafonds de verre à percer, grâce aux efforts des pionnières d'hier et d'aujourd'hui qui ont ouvert la voie.
Tonita Murray, membre civile à la retraite, a été la première femme directrice générale (DG) du Collège canadien de police (CCP). Pour celle qui consacre sa retraite à défendre l'égalité homme-femme et la réforme de la police en Afghanistan et au Kenya, les six années passées à titre de DG ont été les plus stimulantes de sa carrière. « Aucun changement organisationnel ne s'est fait sans débats houleux, mais je savais que gérer le changement voulait dire remettre en cause le statu quo. »
Des propos reflétés par la plupart des femmes qui, les premières, ont percé certains groupes de la GRC dominés par des hommes – ou comme le dit l'insp. Ruth Roy, première femme recrutée dans une équipe de récupération sous-marine (ERSM) en Columbie-Britannique, « les derniers retranchements du club des boys ». L'insp. Roy, qui avait fait partie de l'équipe de plongeurs de la police de Ports Canada, suivi de la formation et fait de nombreuses sorties avec des plongeurs de la GRC, a peiné à se faire accepter par la gestion lorsqu'elle a postulé une place permanente à l'ERSM en 1991.
« Quand est venu le temps de me faire une place dans l'équipe, la gestion a multiplié les obstacles, » se rappelle l'insp. Roy. Mais connue de l'équipe qu'elle avait côtoyée, elle a fini par s'y tailler une place. L'histoire s'est répétée dans les groupes tactiques d'intervention (GTI), les groupes de l'enlèvement des explosifs (GEE) et divers autres domaines spécialisés qui n'attirent pas beaucoup de femmes.
Une réalité que s'emploie à changer la serg. Regan Douglas, première et seule femme spécialiste en engins explosifs à la GRC. Elle est devenue la première instructrice à plein temps de l'unité de formation aux explosifs au CCP. « J'espère qu'à côtoyer une instructrice, les recrues s'habitueront à travailler avec une femme au point de s'attendre naturellement à en trouver sur le terrain aussi. » La serg. Douglas essaie d'intéresser d'autres femmes à son domaine et en compte d'ailleurs une dans ses cours. Mais elle reconnaît que le milieu est compétitif et que les places sont limitées, au même titre que dans d'autres secteurs de spécialité. Il faut donc beaucoup de détermination.
»Il faut déjà du courage pour se présenter, » concède la serg. Douglas, qui peine encore à croire qu'on la paye pour faire sauter des trucs. « Pendant des mois, j'ai passé tout mon temps libre avec les gars de l'équipe CBRNE [chimique, biologique, radiologique, nucléaire, explosif], à apprendre les rudiments, à me faire remarquer. » Ç'a marché; la serg. Douglas a réussi le cours et obtenu un poste permanent dans l'équipe en 2009, aux côtés de gars fantastiques chez qui elle n'a senti aucune résistance.
La serg. Val Brooks travaille aussi à changer le visage de la police. À titre de première femme membre opérationnelle du GTI, de 2004 à 2008, elle parle souvent de son expérience à des recrues. Elle insiste beaucoup sur la nécessité de la confiance et du respect dans l'équipe, entre hommes et femmes. « Au GTI, tout est affaire d'équipe. La camaraderie et les liens qui se forment sont inouïs, et ils s'accompagnent d'une grande responsabilité, » explique-t-elle en pensant à ce milieu où la pression, le risque et les exigences physiques sont élevés. « Pour ma part, à ce jour, faire le GTI demeure ma plus grande réalisation personnelle et professionnelle. »
Première femme affectée à plein temps au GTI, l'insp. Rhonda Blackmore estime que l'essentiel est d'avoir des seuils dans les normes de formation et de certification. « Si les normes sont valides, peu importe que vous soyez homme ou femme, on choisira le meilleur candidat pour le poste. » Souvent appelée à parler de ses expériences et à donner son avis, elle dit aux policières que certes, le GTI est exigeant aux points de vue physique, mental et technique, mais les compétences qu'on y acquiert sont transposables à n'importe quel rôle et sont utiles à tout le monde.
Bien des femmes à la GRC se sentent la mission d'inspirer et d'encourager la relève. Et comme la membre civile Jennifer Johnstone, analyste de renseignements aux Crimes graves et Crime organisé en Colombie-Britannique, il faut aspirer non seulement à être la première femme, mais le premier citoyen canadien à faire sa marque dans son domaine à l'échelle internationale. Mme Johnstone a été nommée (pour un second mandat) présidente de l'International Association of Law Enforcement Intelligence Analysts (IALEIA), une première pour un Canadien. Forte de plus de 20 années d'expérience et ayant contribué à l'élaboration de la formation sur les fondements de l'analyse de renseignements qui se donne partout dans le monde, Mme Johnstone est vue comme une experte internationale en formation et en professionnalisme dans le domaine de l'analyse de renseignements. Ayant reçu l'appui entier de la GRC pour son engagement envers l'IALEIA, Mme Johnstone se dit très chanceuse d'avoir pu travailler avec des leaders formidables. « De mes voyages partout dans le monde, je retire que la GRC est un bon endroit où travailler. »
Les femmes à la GRC ont dressé à ce jour une longue liste de premières, mais surtout leur force tranquille leur a permis de surmonter les barrières d'attitude et de génération pour se faire une place aux côtés de leurs collègues masculins. On ne peut qu'imaginer les difficultés qu'ont connues les pionnières premières gendarmes dans un détachement, premières dans un Groupe antidrogue, premières maîtres de chien ou premières enquêtrices en délits commerciaux. Et si beaucoup de femmes de toutes les catégories ont frappé des obstacles, beaucoup ont aussi vécu des expériences gratifiantes.
Pionnière parmi les pionnières, la commissaire à la retraite Bev Busson a fait sauter le plafond de verre pour devenir la première et la seule femme commissaire. Quand on lui demande de quoi elle est le plus fière, Mme Busson répond : « que les membres aient accepté mon leadership à un moment où l'organisation vivait d'énormes pressions. Ça n'a rien à voir avec le fait d'être une femme. »
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